Dimitar Anakiev
L'ostracisme stalinienne slovène
La suppression des yougoslaves des archives officielles est une méthode stalinienne
d'ostracisme.
La méthode politique d'effacement des gens des archives officiels est devenu un sujet
de discussion fréquent après 2004, lorsque l'effacement de plus de 25 000
Yougoslaves du registre de résidence permanente (1) a été officiellement reconnu.
Ainsi, le chauvinisme anti-yougoslave fut introduit comme l'idéologie officielle
de l'État slovène "indépendant". Beaucoup considérèrent cette méthode comme
une invention politique slovène, qui a servi au "nettoyage ethnique administratif"
intelligent. D'autres firent le lien entre cet « effacement » et Orwell, tandis que
beaucoup essayèrent de mystifier cette pratique stalinienne bien connue. Le
marxiste américain James P. Cannon, dans son célèbre ouvrage "Histoire du
trotskysme américain" (2), analyse les méthodes politiques staliniennes et décrit
trois niveaux de base: 1. la diffamation, 2. l'ostracisme et 3. le gangstérisme.
Le stalinisme a repris l'ostracisme des pratiques politiques anciennes. A cette époque,
l'ostracisme était décrit comme l'exil politique instauré par la « décision des
morceaux de poterie », puisque le mot grec « ostrakon » fait référence à un
morceau de poterie sur lequel est inscrit le nom d'une personne exilée. Cependant,
dans la Grèce antique, l'exil, en tant que méthode d'"effacement" des gens du
système politique, était une mesure purement temporaire. C'était un moyen de
supprimer les opposants politiques, mais leurs biens privés étaient respectés et
protégés jusqu'à leur retour éventuel. Le stalinisme a fait de l'ostracisme une
méthode totalitaire. Afin de rester au pouvoir, le stalinisme a effacé, reconstruit et
usurpé l'Histoire, comme s'il s'agissait de sa propriété privée. Le stalinisme
slovène est particulier, au sens que l'effacement des gens et de l'Histoire a une
fonction de domination capitaliste et néo-colonialiste qui règle les Balkans selon
l'Union Européenne.
Nous pouvons voir le caractère stalinien de cet acte d'effacement dans le fait que la
nation est considérée comme le parti politique dont tous les membres indésirables
- les Yougoslaves dans ce cas - peuvent être exclus. Dans le même temps, il s'agit
d'une tentative de suppression du passé et de l'Histoire de la nation, qui a été
créée au cours de la révolution socialiste et de la lutte pour la libération nationale.
C'est une notion qui ne correspond pas aux nouveaux maîtres de la Slovénie et à
leurs serviteurs. Le caractère contre-révolutionnaire de l'effacement et de la réécriture
de l'Histoire peut être perçu comme un essai de réconciliation historique
avec le fascisme. On retrouve la même tendance dans les autres régions des
Balkans (3). Notamment, des serviteurs domestiques de l'armée hitlérienne ont
tendance à être réinterprétés comme « armée nationale », même s'ils ont participé
à la destruction nazie de leur propre nation, de la même manière qu'ils servent
aujourd'hui la transition capitaliste génocidaire. Les méthodes staliniennes ne se
limitent pas à des gens et à l'histoire ; la terminologie stalinienne est également
liée au discours public et politique. L'utilisation d'une expression bien connue de
Staline, le «fascisme de gauche», est l'un des exemples les plus typiques de la
sphère politique slovène. L'expression vient des années 1930, quand elle a été
inventée pour critiquer l'intégration d'une coalition gagnante par les communistes
et les sociaux-démocrates allemands. L'entrave à cette coalition a permis à Hitler
de prendre le pouvoir. Le chef de file du Parti Démocrate Slovène contemporain a
réutilisé l'expression de Staline et l'a ainsi sauvée de l'oubli.
Dans le cas des «effacés», nous pouvons observer une méthodologie stalinienne
typique, - ce qui a commencé avec de la diffamation – c'est-à-dire une longue période
de campagne culturelle qui portait sur l'humiliation des « Balkans » au nom des
valeurs « européennes », suivie par la diffamation des « traîtres » et des « indécis »
concernant l'indépendance slovène. Nous pouvons la comparer à la campagne
culturelle au moment de la collaboration avec le fascisme, quand "l'Asie" a été
attaquée au nom de « l'Europe ». Cette diffamation a duré plus d'une décennie, ce qui
a fait de l'ostracisme un dispositif politique nécessaire dans l'opinion publique, qui ne
devait pas être remis en question par n'importe quel politicien slovène.
Cela a ouvert la porte au dernier niveau de la méthodologie politique stalinienne - le «
gangstérisme ». Cette phase du stalinisme slovène se manifeste par le vol de la
propriété privée des «effacés», principalement dans la privation de leurs droits de
résidence, empruntée du socialisme. Dans une nouvelle loi, les droits résidentiels
socialistes ont donné aux résidents la possibilité d'acheter des appartements à un prix
non-commercial (la soi-disant «loi Jazbinšek"). Ainsi, des centaines de milliers de
Slovènes ont acheté des propriétés à un prix inférieur « socialiste », mais pas les
Yougoslaves « effacés » qui ont été exclus. Beaucoup d'« effacés » ont donc été
déplacés (leurs appartements ayant été repris par la suite), tandis que ceux qui avaient
réussi à rester dans leurs appartements pour différentes raisons « humanitaires », où
les autorités ne pouvaient pas violer les lois les plus évidentes (mères seules avec
enfants, par exemple), ont ensuite été forcés de payer un loyer normal - une autre
forme de vol. Il s'est passé quelque chose de similaire avec la propriété d'autres
personnes, dans le domaine exécutif de « l'ostracisme ».
Les méthodes du gangstérisme ont également entraîné des milliers de déportations
illégales d'« effacés », menées par la police sans ordonnance d'un tribunal (4).
L'Union Européenne a ignoré le problème des « effacés » slovènes, comme s'ils
n'existaient pas, et ce cas a été officiellement classé comme une affaire intérieure
slovène. Après que le bureau juridique italien Lana & Saccucci a intenté une action
en justice, la Cour Européenne des Droits de l'Homme a décidé que les « effacés »
avaient été privés du droit à la protection juridique et du droit à la vie de famille (5).
L'ostracisme stalinien n'a pas été remis en question par les institutions européennes.
Deux conclusions sont évidentes : premièrement, le stalinisme imprègne encore la
société slovène et le système politique ; deuxièmement, le stalinisme est totalement
compatible avec la forme de l'Union Européenne et la politique européenne
contemporaine.
(1) Un an après son indépendance de la République Fédérale Socialiste de
Yougoslavie, le gouvernement slovène a secrètement et illégalement supprimé des
dizaines de milliers de personnes des registres de résidence permanente. La majorité
était des travailleurs industriels et leurs descendants des autres républiques
yougoslaves, qui ont contribué à l'industrialisation de la Slovénie dans les années
1970 et 1980. Le gouvernement de droite de Janez Jansa a reconnu en 2004 que
18,305 Yougoslaves avaient été « effacés ». Le gouvernement de gauche de Borut
Pahor a donné en 2009 un nombre plus élevé : 25,671. Le journal Helsinki Monitor a
lui rapporté que plus de 70 000 Yougoslaves avaient été « effacés ». Le nombre
officiel retenu était cependant celui du gouvernement Pahor.
(2) James P. Cannon: "L'histoire du trotskysme américain", Pathfinder Press, New
York, 1944
(3) La transformation la plus grotesque du stalinisme en fascisme s'est produite dans
le cas du célèbre commandant de Tito pendant la Seconde Guerre mondiale, Petar
Gracanin. Ce commandant de la Deuxième Brigade Prolétarienne et le « héros du
peuple » du Front Syrmien a été nommé Ministre de l'Intérieur du gouvernement de
Milošević, et a créé des unités paramilitaires fascistes responsables d'une grande
partie du nettoyage ethnique en Bosnie-Herzégovine.
(4) La police slovène a supprimé les listes des expulsions illégales, de sorte que le
nombre exact de déportés reste inconnu aujourd'hui. L'auteur de l'article a été luimême
à la fois « effacé » et déporté illégalement.
(5) Cas de Kurić et al. c. la Slovénie
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